"Aarboun 3" de Fadhel Jaziri et Haythem Lahdhiri : l'universalisation de la mélodie tunisienne est possible
- Mohamed Ali Elhaou
- 16 mars
- 3 min de lecture
Dans le cadre de la 41ᵉ édition du Festival de la Médina, en ce temps ramadanesque, le public était au rendez-vous pour assister à la première du spectacle, conçu et réalisé par Fadhel Jaziri et Haythem Lahdhiri, présenté au Centre Culturel Bir Lahjar. Cette représentation dure deux heures de 21 h 45 à 23 h 45. C'est, en réalité, la troisième déclinaison d'un projet ayant commencé en 2018. Il présente en effet une revisitation des mélodies et des chansons qui font la fierté de notre patrimoine culturel à l'image de celles créées par Ali Riahi, Cheikh El Afrit et d'autres qui ont fait, entre autres, le succès de Safiya Chamiya ou de Oulaya.

Aarboun 3, c'est donc une lecture jeune et moderne de cet héritage musical tunisien d'exception. La spécificité de cette lecture, c'est qu'elle est réinterprétée autrement. Ainsi, ces morceaux tels que joués par cette troupe, très bien rodée, montrent leur côté universel et résonnent bel et bien avec les airs internationaux de la musique, notamment la nouvelle adaptation de Lamouni elli garou minni de Hédi Jouini et bien d'autres morceaux. L'adaptation allie par exemple, il s'agit d'un seul morceau, des mélodies américaines, tout juste dans l'intro, et qui se transforment en orientales par la suite, le tout avec une très grande fluidité. Il est question de l'intro du morceau de Warren G & Sissel — Prince Igor (1998), faite avec de l'oud, avec grande délicatesse.
La troupe Aarboun 3 est donc constituée d'un groupe d’amis musiciens, de vrais connaisseurs de la musique et du théâtre et sincèrement brillants. Ils sont respectivement Haythem Lahdhiri, oud et chant, Taieb Farhat, guitare et basse, l'excellent Ilyes Blagui, piano, Mokhles Aouinti, percussions, Riadh Sghaier, saxophone et Ichraq Matar, chant, danse et comédie avec une grande classe.
Le spectacle Arboun 3 attire l'attention par la variété des mélodies, des rythmes et des costumes. Celle-ci fait voyager le spectateur à travers le temps et l'espace. Les airs musicaux sont à la fois très anciens, rappelant l'ambiance des Cafi Chanta (les cafés chantants des années 40-70) et très modernes, en particulier à travers les notes dynamiques du piano, le son du saxophone et du cajon.
Extrait du spectacle, Zina ya bent el henchir, adaptation du morceau du grand Ali Riahi ©culturetunisie.com
Au niveau de la mise en scène et de l'éclairage, Aarboun 3 dissipe le 4ᵉ mur : le spectacle raconte deux heures avant une représentation : un "Aarboun". La caractéristique de celui-ci dans la culture tunisienne, c'est qu'il vient à l'improviste, ce qui met la pression sur la troupe et engendre des multiples désorganisations. Mais, celles-ci n'arrêtent pas la performance. C’est donc une représentation et un récit sur ce dernier filage : ambiances, surprises, maladresses, remarques des musiciens sur leur propre rendu et en même temps une atmosphère décontractée.
En ce sens, le spectateur a l'impression d'être dans une ambiance très intime et familiale. Au fait, il n'est pas face à des artistes, mais avec eux dans leur processus créatif, hésitant et répétitif, d'essais et d'erreurs. Cette ambiance chaleureuse est, en outre, accentuée par le lieu lui-même : Centre Culturel Bir Lahjar, endroit somptueux, intimiste dans lequel le public est collé à la scène.
La touche de Fadhel Jaziri et de son assistante Samia Ben Abdallah est dans la théâtralité de cette représentation, son harmonie et sa comédie jusqu'au dernier moment. Le public n'a pas, à vrai dire, senti le temps passer et s'est régalé avec cette troupe polyvalente portant avec talent musique, interprétation, humour et dérision ainsi que des montées lyriques impressionnantes et enivrantes dont seul Haythem Lahdhiri a la recette. Cet artiste confirmé a montré, hier, l'amplitude de sa palette de jeu d'interprète de la musique orientale : de Abdelwaheb jusqu'à Ajebin Assaba.
Sans aucun doute, le spectacle pose ainsi un dialogue entre les générations et montre que la génération actuelle de nos artistes cherche à internationaliser notre riche patrimoine musical en le faisant connaitre au monde. Aussi, avec ce genre de spectacle de qualité, le Festival de la Médina, démontre encore une fois qu'il investit dans un art bien réfléchi, c'est sa façon de résister à la concurrence, au temps et à l'art-faux ; ce dernier occupant presque tout l'espace sonore de la société.
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