Assala Nasri divine à la clôture de la 58ᵉ édition du festival de Carthage

Le 17 aout 2024, un public massif s'est déplacé pour voir le dernier show de cette 58ᵉ édition du festival de Carthage. Dans ce dernier rendez-vous, les présents étaient, toutes proportions gardées, disposés culs par-dessus tête. L'auditoire a, de fait, bravé la pluie, qui s'est invitée avant la représentation et s'est estompée une heure avant le spectacle. Cette pluie, comme si elle respectait l'arrivée de cette grande chanteuse et personnalité syriennes, a tout juste rafraichi cette ambiance de grande chaleur d'été et prenait son départ.

Allure de reine

Dans le monde arabe, un vieux proverbe disant : "celui ne se mariant pas avec une Syrienne, ne connait vraiment pas l'amour". Ce proverbe s'applique parfaitement à la prépondérance créée par Assala Nasri hier. Toujours devant son micro, Assala ne bouge pas du tout. Elle fait des mouvements circulaires de la main avec toujours un sourire aux lèvres et un regard perçant. Son dos est constamment tenu en posture droite, ses épaules sont manifestes et en situation de confiance. Sur l'arène de Carthage, Assala Nasri est donc une vraie déesse du monde oriental. Elle a tout fait en matière d'art, sa présence colle parfaitement aux vestiges et aux monuments de ce lieu bourré d'histoires. Lors de la représentation d'hier, Assala Nasri était presque Elyssa (Didon), la princesse phénicienne fondatrice de ces emplacements qui font l'essence et l'aura de cet endroit, carrefour des arts depuis 1964. Assala mesure un mètre et 60 cm, mais elle dégage un charisme hors pair. Elle a la peau qui brille quasiment l'or. Le maquillage, il faut dire, accentue cet aspect.

Assala Nasri divine à la clôture du festival de Carthage le 17 aout 2024, @Zied Jaziri

La plupart de ses chansons, des attaques du masculin

Depuis plus de trente ans, les chansons de Assala Nasri sont connus par leurs mélodies uniques et par le timbre de la voix cassée, forte et même poignante de cette cantatrice magistrale. À examiner de près, les paroles de ses chansons tournent toutes, si ce n'est à 90%, autour du dénigrement du masculin, de son infidélité, de sa lâcheté, de sa fuite de la responsabilité, de la difficulté à vivre avec lui au quotidien et de son égoïsme. Prenons un exemple, emblématique, de l'une de ses chansons les plus récentes : Yamorr W Ma Yessalem (Passant sans dire bonjour), d'ailleurs cet aspect se répète dans plusieurs autres morceaux de son parcours artistique. Dans cette chanson, il y a un rire moqueur du comportement de l'homme jalonnant tout le morceau, mais avec une mélodie exquise. Ce qui fait que le message passe en dansant. Les paroles disent :

Il passe sans dire bonjour

À l'orgueil s'est habitué

Il pense que je serais soumise, haha

Évitant, tout juste, les blâmes venant de l'extérieur

Sinon, l'aurais-je insulté

Je m'en fous de son bonjour

Haha (rire)

(extrait de sa dernière chanson, Ndlr)

Voici les paroles traduites en arabe :

يمر وما يسلم

على الكبر تعلم

أجي له يتحلم (هاها)

والله لولا الملامة

لقلل في حترامه

أنا مابي سلامه (هاها)

Malgré ces paroles rudes, les mélodies d'Assala Nasri sont donc très bien travaillées et légères, ce qui fait que l'on ne s'aperçoit pas du message qu'il y a dedans. Cette cantatrice syrienne, sans aucun doute, se place au sommet de l'art arabe depuis maintenant deux décennies. Pour avoir cette aura, elle chante dans le dialecte égyptien et aussi des airs résonnant surtout dans les pays du Golfe arabe. Elle a dans son répertoire une vingtaine d'albums, composés de morceaux légers, mais aussi de morceaux tarabi à l'instar de Samihtek, son succès au tout début des années 90, ou Asfa chouflak ghiri, entre plusieurs autres tubes.

Clés de la longévité

Assala Nasri réussit à faire une carrière professionnelle sans faille, même si en dehors de son métier, elle ne peut plus revenir à son pays natal, car elle s'est opposée à un certain moment au régime syrien de Bashar el-Assad en 2012 plus particulièrement. La première clé, c'est qu'elle est déjà bercée depuis son enfance dans le monde de l'art et de la chanson. Elle est en effet la fille du grand compositeur Mostafa Nasri, ce dernier lui inculquant l'amour des chansons égyptiennes telles que celles de Mohamed Abdelwaheb et de Abdelhalim Hafez. Ce qui fait que dans ses chansons, il y a un travail sur les phrases musicales et sur les paroles, alors même que la chanson ne dépasserait pas les trois ou quatre minutes.

Extrait du spectacle d'Assala diffusé en direct à la télévision tunisienne, la chanson Soual bassit (Simple question)

La deuxième clé, c'est sa sensibilité et sa tendance à chanter avec les tripes. Aussi, elle est très généreuse sur scène et elle ne compte pas ses minutes avec le public. Par conséquent, son concert hier avait duré presque trois heures. En outre, elle a trouvé le temps, même fatiguée, à organiser une conférence avec les journalistes à une heure tardive la nuit ; d'autres stars orientales ne l'ont pas fait. Elle était donc très disponible pour prendre les photos et pour répondre aux questions en toute modestie et sourire.

Troisièmement, c'est parce qu'elle arrive à séparer les tumultes de sa vie privée, n'étant pas un long fleuve tranquille il faut dire, et ses objectifs en tant que l'une des premières dames actuelles du chant arabe. Est-elle du genre des femmes virant leur homme du domicile ? Selon son propos, lors du début de cette représentation, à chaque fois qu'elle déprime, elle vient sur la scène de Carthage. Le magnétisme qu'elle crée et l'amour infini donné par le public lui remonte le moral et la laisse continuer. C'était le cas en 2006, selon ses dires et en 2012.

La chanson la plus substantielle d'Assala, Ad el hourouf interprétée lors de cette même soirée

Au final, peu à peu, Assala Nasri a accumulé un public frénétique, son concert a été réglé à la minute près sous la baguette du chef d'orchestre Mostapha Helmi et sa troupe égyptienne composée de 40 musiciens. Son public désormais connait parfaitement ses chansons et à la lettre près. Bref, c'est une artiste, en dépit de la complexité de son parcours, est réellement très respectable, adorable même et magnétique.

Mohamed Ali Elhaou

Crédit photo : Zied Jaziri