"Au violon" la plus récente création de Fadhel Jaziri : récit de décadence de l'orchestre de la radio tunisienne
Le 28 novembre 2024, le public s'est déplacé en grand nombre à la Cité de la culture à Tunis pour assister à la première représentation de Fadhel Jaziri; laquelle s'est faite lors de la 25ᵉ édition des Journées Théâtrales de Carthage. Ce spectacle "Au Violon" a été mûrement travaillé et bien préparé sous la supervision de chaque détail par ce grand artiste marquant le monde des arts de spectacles depuis la fin des années 1970. "Au Violon", coproduction du Centre des Arts Jerba et du Théâtre National, dans laquelle jouent, tour à tour, Ichraq Matar, Slim Dhib, Ilyes Blagui, Mahdi Dhaker et Lotfi Safi. Le spectacle dure deux heures et 15 minutes. Il comporte un piano, un violon, un oud et un violoncelle. Sur scène, se trouvent également deux chaises et deux micros. Les costumes du spectacle ont été élaborés par Hedia Ben Ammar, cheffe costumière, en collaboration avec Jihène Ben Attia, la couturière.
En effet, derrière le nom de Fadhel Jaziri, il y a toute une équipe d'organisation apportant son élan créatif et créateur : Emna Jaziri, Feten Jaziri, Haythem Hathiri, Samia Ben Abdallah (l'assistante du metteur en scène dans ce travail) et bien d'autres noms. La pièce est très bien écrite : les mots coulent de source, poétiques et très bien orchestrés avec une émotion d'une grande justesse. L'originalité de "Au violon", c'est que c'est raconté avec beaucoup d'humour et tendresse.
Petit extrait de la pièce de Fadhel Jaziri "Au Violon" ©culturetunisie.com
Pour ce faire, la cerise de ce spectacle, sans aucune exagération, est Lotfi Safi. Ce comédien faisait bel et bien partie dans la vraie vie de l'orchestre de la radio tunisienne. Cet orchestre dont le nombre est passé de plus de 100 musiciens à simplement sept, dans une filière optant de plus en plus pour la technologisation : le tout numérique en écrasant la place des instruments. Lotfi Safi a une intonation humoristique brute, par nature. Il a donc l'ironie dans le sang sans avoir besoin de jouer, comme on dit : thamir. À chaque brève prise de parole, le public est en sanglot. Personnage hésitant, mais sachant tout faire. Il y a une réplique dans ce spectacle qui restera à jamais dans les annales de notre théâtre : "Ta mère t'urge : "que ton destin soit maudit, trouve-toi une meuf ...أمك قتلك : "يكب سعدك برا عرسْ
Cette réplique apparait à chaque fois que le protagoniste se trouve dans une impasse à un moment charnière de sa vie.
Ichraq Matar, la muse de Jaziri
Il importe de signaler qu'Ichraq Matar est la muse actuelle de Fadhel Jaziri depuis Kaligula 2. Dans le minimalisme désiré par le metteur en scène, elle a montré l'ampleur de ses capacités de comédienne. Elle a, de fait, incarné une dizaine de personnages avec des couleurs et des costumes très différents. À tout ceci s'ajoute une excellente habileté à chanter. À elle toute seule, elle a donc fait le travail de quatre comédiens. Quoique, pourquoi ne pas intégrer Emna Jaziri à cette œuvre ? Elle lui apportera certainement beaucoup de charme, d'autant plus qu'elle est une artiste polyvalente : capable de tout sur scène.
Slim Dhib a aussi été excellent, il a très bien incarné le rôle de Fadhel Jaziri sur scène, sa façon de parler. Il a très bien joué l'allure nonchalante, le ralenti, désirée par le metteur en scène, par une intonation endormie et manquant exprès de zèle. Son personnage est mou, lent, négligent à certains moments, tiède à d'autres, voire velléitaire.
Dans cette représentation se distinguent deux instrumentistes et comédiens de pointure internationale à savoir Ilyes Blagui, Mahdi Dhaker. Ils ont de fait réussi à transmettre une grande émotion et une grande charge de mélancolie à l'auditoire présent. Sur ces deux artistes, un des présents avait affirmé : " le violoniste Mahdi Dhaker a été véritablement remarquable dans ce spectacle. Il est en passe de devenir international par sa capacité à faire parler son violon ; Ilyes Blagui aussi sincèrement, merveilleux comédien à travers une voix narrative sublime et un jeu de piano à couper le souffle. Bref, ces deux prodiges ont été magiques sur la planche de ce théâtre. Ils ont apporté beaucoup de poésie à ce spectacle. Ce sont deux lumières dans une période submergée par la médiocrité". Pour riposter contre celle-ci, cette représentation comporte un volet politique conséquent.
Couche politique
Le premier niveau de lecture de ce spectacle : c'est bel et bien l'orchestre de la radio tunisienne. Toutefois, à examiner de près, cette représentation est une autobiographie à travers laquelle Jaziri narre les moments l'ayant parqué à la fois artistiquement que politiquement depuis les années 60 jusqu'à la fuite de Ben Ali le 14 janvier 2011. Ceci de manière indirecte en choisissant un violoniste ayant travaillé dans l'orchestre de la radio. La pièce met donc les projecteurs à la fois sur la sphère privée ainsi que la sphère publique dans laquelle Jaziri lui-même a vécu. Il nous raconte son enfance et sa jeunesse à la ville de Tunis.
Ainsi, cette œuvre "Au Violon" est profondément unique. Elle est luxueuse dont le gout est très élégant. C'est une œuvre d'art raffinée. Aussi, c'est la première fois que Fadhel Jaziri affiche son bourguibisme. L'œuvre est donc emplie de faits historiques en relation avec la troupe B de l'orchestre de la radio nationale, mais en vérité avec Jaziri lui-même. Aziz Jellity, homme de théâtre et comédien, décrit le spectacle "Au Violon" de Jaziri comme suit :
Spectacle garni de chefs-d'œuvre internationaux et locaux
Esthétiquement, "Au Violon" est pleine donc de drôlerie très fine et affable, imbibée de l'âme tunisienne. Elle comporte plusieurs morceaux musicaux marquant l'identité de notre pays, même s'ils sont étrangers. Les morceaux joués, entre autres, dans ce spectacle sont : étude op.10 n°12 Révolutionnaire de Chopin, Shéhérazade de Rimski-Korsakov, Dour biha ya Chibani (chanson marocaine : un classique), Sarabande de Bach, Ellil Ah Ya Lille, chanté jadis par Nâama, Clair de lune de Beethoven, Thais Méditation de Jules Massenet, Ouverture Carmen de Bizet, Habouni oudallalt de Hédi Simlali, Baki de Adriano Celentano, Kalem Jamil de l'Égyptienne Leila Mourad, Babour Zammir kach el bahar de Hédi Guélla, Ya Kaoum de Ouanes Kaligen, Sirt el Hob de la diva Oum Khalthoum et bien d'autres morceaux synonymes d'un grand travail d'élaboration et de construction de cette œuvre substantielle, profonde et surtout drôle. Pièce, au final, dont on ne se lasse pas du tout.
Pièce d'une très grande qualité
En somme, l'actrice a très bien joué, mais pourquoi n'a-t-il pas donné son rôle à sa nièce ? Et d'ailleurs son fils et un de ses neuves jouent aussi très bien de l'instrument, pourquoi ne leur a-t-il pas donné les rôle de deux des musiciens ? Sans doute parce que Jaziri n'est pas Nahdi