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« Sayed Darwish, le chant éternel » de Sofiane Ben Farhat : opérette de l’âge d’or de la musique arabe régalant les publics

Mohamed Ali Elhaou

Le 11 juillet 2024, le public s’est déplacé en grand nombre pour voir l'opérette « Sayed Darwish le chant éternel », texte, libretto et mise en scène de Soufiane Ben Farhat, direction musicale de Noureddine Ben Aicha. La salle fut comble en ce jeudi et la représentation a été accueillie avec une standing ovation vers la fin. Le public fredonnait, se marrait, chantonnait, adorait les mélodies, les modes et les maqâms de Sayed Darwish. Pourquoi cet artiste maintenant ?


En effet, l’histoire musical arabe se souvient de lui comme étant un créateur en faveur des démunis, des déshérités et des exclus.  De ce fait, cette opérette prenant la forme d’une trame soudée retrace les péripéties de Sayed Darwish et son combat mené en faveur de sa patrie. Aussi, ce n’était pas uniquement un engagé, mais il était inventeur d’un style musical unique en son genre se traduisant par la Taqtuqa (chansonnette) ; laquelle ne dépassait pas les 3 ou 4 minutes, à un temps dans lequel la chanson arabe durait une heure, ou peu s’en faut.


Il importe de mentionner que la vraie découverte de cette opérette est sans nul doute la sublime cantatrice Jamila Haggui. Cette dernière excelle dans les airs arabes et détient une voix à la fois fine et forte. Jamila Haggui est capable de chanter dans tous les modes.
Mongia Sfaxi, la vraie découverte de ce spectacle, le 11 juillet 2024

Crédit photo : ©Bahja films


Une spectatrice exprimant son impression à la suite de ce spectacle comme suit : « je remercie Sofiane Ben Farhat et Noureddine Ben Aicha d’avoir permis de découvrir le génie de Sayed Darwish dont tout le monde fredonne la musique sans connaitre la grandeur du personnage. L’immense surprise était le casting et les performances vocales des artistes pourtant si peu connus ! Ce qui est sûr et certain, c’est que le public présent aujourd’hui n’écoutera plus cette musique avec la même oreille et de la même façon. Ce spectacle apporte, sans le moindre doute, un réel enrichissement à la culture de l’auditeur et fait passer un message de lutte dans une ambiance bon-enfant ».


Ce spectacle dure donc deux heures et comporte un programme de 22 morceaux tarab du génie Sayed Darwish, un artiste égyptien, compositeur et interprète mort à l’âge de 31 ans. Le spectacle plaide pour la thèse que cet artiste, hors normes, fut assassiné par la puissance britannique de l’époque. Dans cette perspective, le metteur en scène du spectacle affirme : « le spectacle aborde tout simplement la commémoration du centenaire de la mort de Sayed Darwish, mort subitement en 1923. Je soutiens la thèse dans cette représentation qu'il a été tué par les Anglais et leurs sbires […] Je me suis adossé à des documents et témoignages historiques pour représenter cette version des faits ».


Parce que ce spectacle n’est pas dans la légèreté, son montage artistique et financier n’a pas été un long fleuve tranquille. Ainsi, Ben Farhat décrivant ce processus avec ces mots : « au début, nous sommes convenus officiellement d'une co-production avec le théâtre de l'Opéra de Tunis, puis il y a eu la guerre de Gaza et ils ont tout arrêté. Nous avons attendu huit mois, après, on s'est jeté à l'eau. On a répété d'arrache-pied dans trois lieux différents. Les espaces Rihet libled, Le club culturel el-Gorjani et la Maison de la culture el-Mourouj […]  Mohamed Hédi Jouini en particulier, à ce moment-là directeur du Théâtre de l'Opéra, était partant et il nous a donné son accord express en juillet 2023. En septembre, on nous a demandé de participer à l'appel d'offres pour les co-productions. On escomptait une réponse fin octobre 2023. Rien n'a été fait depuis. Puis, Mohamed Hédi Jouini est parti au Qatar. Dans la préparation de cette opérette, j'ai conjugué le minimalisme des néo-réalistes italiens avec le mode du théâtre pauvre de Grotowski […] en tout cas, je suis maintenant content de la très grande communion avec le public même s’il y a eu un sabotage crapuleux lors de sa représentation au Rio en avant-première. ».


Sur le plan de la forme de cette opérette, les morceaux sont entrecoupés de dialogues et de chorégraphies minimalistes assurant le passage dramatique entre les segments mélodiques. Dans ces scènes dramatiques, ressort l’excellent travail de Mohamed Saïd, à la fois dans les performances chantées ou encore dans la qualité du jeu dramatique, son aisance et son naturel sur scène, qui n’ont pas laissé indifférent le public. Ce comédien semble donc reprendre vie et vigueur dans cette opérette.


Mohamed Saïd excelle par son naturel dans ce spectacle

Crédit photo : ©Bahja films


Ambiance pré-Taht Essour


L’ambiance de cette opérette donne un avant-goût sur ce qu'allait devenir plus tard en 1930 ce que l'on appellerait Taht Essour, après le retour de Bayrem At-Tunisi de son exil français, au moment où il y aura un certain attrait pour la créativité et une focalisation sur ce qui se fait en Égypte, notamment en matière de chant et de musique. Sans hésitation, l’influence égyptienne dans l’art lyrique tunisien a commencé à partir des années 20. Cette musique égyptienne a eu donc une forte résonance et elle est devenue très vite le cœur battant du monde arabe. Monde recherchant sa libération du joug des puissances impériales. Aussi, la singularité de ces années et que la plupart des créateurs dans cet espace arabe, que ce soit dans la littérature ou dans la musique, étaient des marginaux et des bohémiens.     


L'emsemble de l'équipe du spectacle avec le metteur en scène Sofiane Ben Farhat, habillé en chemise blanche

Crédit photo : ©Bahja films


Il importe de mentionner que la vraie découverte de cette opérette est la sublime cantatrice Mongia Sfaxi. Cette dernière, sort du lot et excelle dans les airs arabes et détient une voix à la fois fine et forte. Mongia Sfaxi est capable de chanter dans tous les modes. Aussi, Monther Yaacoubi a fait montre d’une grande capacité de chant par son interprétation remarquable de la chanson Sibouni Ya Nass Bihali. Cette interprétation juste et impliquée demeure gravée dans l’audition du spectateur. Quant à la scénographie, elle est minimaliste, elle comporte deux masques, une radio ancienne, deux seaux en plastique, un oranger et un gris, une cage d’oiseau style Sidi Bou Saïd. Aussi, au milieu de la scène se trouve une pancarte blanchâtre sur laquelle est écrit : « Café, l’orient express ».  


Le spectacle est inédit, il redonne vie à  Bayrem At-tounsi, à la diva Hbiba Msika et à un nouveau personnage : le cafetier imaginé Boualem. Le seul bémol, c’est la chorégraphie demandant davantage plus de fluidité dans les costumes et dans les déplacements sur scènes des comédiens. Aussi, quelques petits réglages mériteraient d’être faits sur leur présence et leur naturel dans la danse. Aussi, la troupe de musiciens mériterait un costume plus théâtral, car leur présence sur scène est très ordinaire, ce qui empêche l’aspect fiction et rêve, c'est-à-dire la théâtralité.

  

Parcours atypique de Sofiane Ben Farhat


Le parcours de Soufiane Ben Farhat est bel et bien atypique et montre que le monde de journalisme et le monde de l’art sont deux univers siamois. Le journaliste, connu et reconnu qu’il est, a bien montré qu’il peut faire sans complexe du théâtre, sans grands soucis. Ben Farhat est à son troisième œuvre. Sa première représentation date de 1992. Elle s’intitule ستة من سبعطاش. Le sens idiomatique, c'est "six pas en avant, dix-sept pas en arrière". Cette pièce qui a plus de 32 ans maintenant met en scène l'histoire d'un gardien de prison se retrouvant, à son tour, prisonnier.  La cellule est à six pas de son bureau. Il y croupit pendant dix-sept ans. On aimerait tant revoir cette pièce pour comprendre les raisons de l’incarcération et découvrir l’intrigue.


Ensuite, le dramaturge écrit en 2004, sur le fameux Bayram al-Tunisi très connu dans le monde littérature et inventeur de ce qu’il appelle la « littérature de sauvetage ». Plus particulièrement dans cette œuvre, Sofiane Ben Farhat s’intéresse à son exil et met en scène une pièce s’appelant El Menfi (l’exilé). Dès cette œuvre, commence donc l’intérêt pour les années 1920. Par la suite, il écrit et réalise en 2019 les Années folles عسكر الليل (conception, libretto et dialogues) présentée pour la première fois le 16 mai de la même année au Théâtre de l'Opéra à la Cité de la Culture.


En réalité, la polyvalence, de ce journaliste de parcours, semble déranger le Ministère des Affaires Culturelles. Cette tutelle pense avec une mentalité bureaucratique distinguant les domaines de compétences et croyant dur comme fer en la spécialisation. En l’occurrence, administrativement, le domaine des médias et des arts sont deux domaines imperméables d’un point de vue purement organisationnel. Ce qui fait qu’en partie cette opérette n’a pas fait l’objet d’aide du même Ministère ni des instances qui lui appartiennent, car son genre est presque inclassable et sort des sentiers battus des représentations que nous avons l’habitude de voir.

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Gast
13. Juli 2024
Mit 5 von 5 Sternen bewertet.

Merci pour cet article profond et plein de vie

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Gast
13. Juli 2024
Mit 5 von 5 Sternen bewertet.

Bien vu Si Mohamed Ali

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