Yasmine Ousji : "je veux être célèbre par mon travail artistique et non pas tout facilement par le buzz"
Yasmine Ousji est une comédienne pleine d’énergie. Elle vient d’avoir 21 ans et détient dans sa poche une vingtaine de pièces de théâtre. C’est une actrice qui a la volonté de changer sa condition de départ et porte beaucoup d’espoir concernant le monde du théâtre. Elle a l’ambition de devenir connue et reconnue, mais uniquement par les œuvres dans lesquelles elle travaille. Peu à peu, elle tisse progressivement son réseau. Culturetunisie.com l’a rencontré, car elle estime son profil intéressant et recèle un potentiel véritable pour l’avenir, notamment dans l'industrie iconique : cinéma, théâtre et télévision. Aujourd'hui, elle s’investit pleinement dans son travail et ne compte pas les heures consacrées au 4ᵉ art. La rencontre s’est déroulée un certain dimanche 9 février 2025, au matin, dans le quartier Lafayette à Tunis.

Comment est venue cette rencontre avec le 4ᵉ art ?
Je suis fière d’avoir appartenu au lycée pilote des arts à El Omrane dans lequel j’exerçais le théâtre. Actuellement, je poursuis mes études au sein de l’Institut supérieur d’art dramatique (ISAD) en deuxième année spécialité art du comédien. Depuis mon plus jeune âge, j’ai été très douée. Depuis le collège de "20 mars 1956" à Douar Hicher, on avait un club pour le divertissement. Il nous offrait la pratique artistique tous les vendredis soir. Ce club s’appelait "Club pour éducation à la citoyenneté" et était sous la supervision de Mehrez Khadraoui, en réalité un professeur d’éducation civique. Celui-ci envisageait les activités du club en collaboration avec d’autres clubs ou maison de jeune et/ou maison de culture. Ce que je retiens de cette expérience, c’est la collaboration avec la maison de jeune "El Gobaa" appartenant au gouvernorat de La Manouba.
Ce club était donc un endroit favorisant la liberté d'expression, en particulier pour les jeunes talents. Dans ce club, il y avait l’exploration de plusieurs filières : la musique, l'art dramatique et la peinture. Avec mes camarades de classe et du collège, on apportait des costumes de nos propres choix, avec nos moyens propres et on se maquillait pour faire des représentations, entre autres théâtrales. Les thématiques de ces spectacles par exemple : la cherté de la vie et ses tourmentes et bien d’autres sujets.
Depuis, cette passion pour le 4ᵉ art m’a collé à la peau. En réalité, depuis la 7ᵉ année, j’avais toujours l’habitude d’aller à la maison de culture, avec le professeur Rached Belhom, animateur dans cette institution. Avec lui, j’ai commencé l’expérience théâtrale. On faisait des exercices, certes intéressants, mais qui n’étaient pas très fréquents. C'étaient les samedis, mais pas de façon régulière. Le fait d’aller à cette maison de culture, Abdelaziz Agrebi de Douar Hicher, m’a permis de jouer dans des pièces, dès l’âge de l’adolescence.
Dans cet endroit, en 2016, je fréquentais des noms tels que Aymen Saïdani, le directeur du centre d’arts dramatiques et scéniques de La Manouba. Mais l’expérience n’était pas très longue, c’était deux semaines par ce qu’il y avait des travaux sur ce lieu. À la 9ᵉ année, vers la fin de l’année, j’ai vu une annonce diffusée par l’administration portant cette information : "qui veut déposer un dossier pour poursuivre ses études au lycée pilote d’El Omrane" ?
Comment c’était alors le passage du collège au lycée, surtout que ce dernier est spécialisé dans les arts dramatiques ?
Dès le départ, j’ai été très intéressée par les arts de la scène. J’ai déposé, d'ailleurs, mon dossier avec une collègue à moi qui s’appelle Malek Kouri. Toutes deux avons effectué la procédure ensemble, l'acceptation a été au rendez-vous.
La formation au sein de ce lycée pilote des arts à El Omrane comporte trois spécialités : art du théâtre, art plastique et art de la musique. Le cursus dans cet établissement et pareil aux autres établissements éducatifs sauf que, l’enseignement livre six heures de plus par semaine avec une spécialisation artistique. En l’occurrence, après la deuxième année, il y a l’orientation : cursus littéraire, cursus scientifique et cursus en maths. Les sections classiques quoi. À côté de ce choix entre ces sections, il y a six heures de plus que les établissements classiques. Cette tranche horaire en plus est occupée par l'option artistique de notre choix, et c'est donc la singularité de ce lycée. Vers la fin du parcours éducatif : on passe à la fois le baccalauréat (bac) mais aussi un concours artistique validant nos acquis et nos compétences dans l’art de notre choix de départ.
En outre, ce lycée était loin de chez moi, je faisais lors de la première année, des allers-retours. Par la suite, j'ai été acceptée en internat. Cette option a été possible à partir de la deuxième année. Quand je regarde en arrière, je me dis que cet enseignement est une expérience unique, magnifique et enrichissante. Il y avait des enseignants très intéressants tels que Moez Turki, Mohamed Kchaou et Mhatheb Rmili. Ce dernier était mon encadrant dans le projet de fin d’étude pour la sortie du lycée. Dans ce projet, j’ai pris comme objet de représentation le fameux personnage de la mythologie grecque Médée.
Aussi, j'ai fait la rencontre de Nozha Hosni, femme de théâtre, à la maison de culture de Douar Hicher, avec elle, on faisait presque des représentations dans les régions chaque année. Cette expérience a duré quatre années à partir de 2018. Parmi les représentations, il y a, entre autres, la pièce de Holm laylit chitta fi montassaf elayil, inspirée de l'oeuvre de William Scheakspeare A Midsummer Night's Dream. Représentée en 2021. Par la suite, c’était le passage, après le bac, vers l’Institut Supérieur d’Art Dramatique. En gros, c'est grâce à ce parcours académique et à ses collaborations artistiques que j’ai appris au fil des années d’enseignement à distinguer entre le vrai théâtre et le faux théâtre.
Est-ce une théorie : le vrai théâtre et le faux théâtre ?
Si je regarde mon parcours, mon expérience, je puis dire que ce que j’ai fait, notamment dans le théâtre scolaire, m’a permis de découvrir ce que j’appelle le vrai théâtre, c'est-à-dire le théâtre grec et ensuite le théâtre romain. Sa différence avec le théâtre élisabéthain, autrement dit, le théâtre de la Renaissance. Pour moi, le faux théâtre, c'est tout ce qui a trait aux clowneries et à l’animation au sens péjoratif de ces termes. L’époque actuelle est marquée par le théâtre pris à la va-vite.
Pour distinguer ces deux mondes, je ne signifie pas la différence entre la comédie et la tragédie, c’est plutôt l’approche du comédien lui-même de son métier et comment il appréhende le théâtre. Est-ce qu’il croit sincèrement en ce monde ? Ou bien, cherche-t-il tout simplement à être là sans apporter du sens avec lui. D'ailleurs, dans le théâtre tout doit être maitrisé et perfectionné : le jeu, l'émotion, l'expression du visage, le geste et le rire. Dans tout ceci, ce qui est exigé est : comment le comédien parvient-il à convaincre son public de la vérité de son rôle et de sa prestation ? Or, ce qui est produit, en partie, actuellement, ce sont des pièces sans intrigue, ni chemin dramatique explicite. Ce qui relève donc de ce que j'appelle le faux théâtre, car la plupart du temps, ce genre de représentation rencontre la consommation des spectateurs.
Qu’en est-il alors de la question du talent, il peut y avoir des comédiens qui n’ont pas fait une formation universitaire, et en même temps, ils peuvent avoir beaucoup de talent, non ?
(Elle ne répond pas à la question). Il y a des pièces qui demeurent très importantes dans ma carrière et ma vie tout court. Ces pièces ont été source de tournées, nous étions accompagnées par notre cher professeur défunt Naïm Boufaied. Je cite par exemple la pièce "Hadtha" en 2021 (accident) du metteur en scène Omar Rabhi. Cette pièce est inspirée de "El ors el wahchi" (Mariage sauvage) du dramaturge Falleh Chakir. Nous avons représenté cette pièce à Béja, à la maison de culture de la région, lors du festival de Ammar Farhat. L’espace Carmen a été, en ce sens, d’un appui fort à nos représentations, en particulier Khaouther Dhaoui. Celle-ci a été toujours là pour soutenir les élèves du lycée pilote des arts à El Omrane.
Personnellement, à chaque fois que je l’ai sollicitée, je l’ai effectivement toujours trouvé. D’ailleurs, cet espace Carmen est très ouvert au monde du théâtre, notamment le théâtre savant. C’est un lieu permettant de relier les activités de l’art savant avec un public averti composé d’universitaires et de critiques d'art. Dans cette même lignée de théâtre scolaire, j’ai participé également à la pièce "Nissaa amilett" (Femmes ouvrières) (2025). Cette pièce est mise en scène par Nesrine Mahjoubi.
Cette représentation traite en effet des conditions de travail des femmes dans le secteur agricole et en particulier leur condition de transport, lequel a conduit, une fois, en décembre 2019, à un accident sur la route de Amdoun une région située dans le gouvernorat de Béjà. À la suite, de celui-ci, toutes ont été mortes. La pièce raconte ainsi comment chacune de ces femmes à son histoire propre : comment s’est-elle retrouvée dans ces conditions ? Lors de la première représentation de cette pièce, toute l’équipe avait invité de vraies femmes travailleuses dans l’agriculture.

À la suite du spectacle, il y avait eu un débat très fort, car ce que nous avons joué sur scène résonnait fortement dans leur esprit. Ce qui laissait à dire que ce qui a été imaginé par la metteure en scène était très réaliste et crédible. Au même titre que notre performance.
Je vais revenir un peu en arrière, si tu permets, est-ce que ta propre famille a facilement accepté que tu choisisses le théâtre comme avenir professionnel ? (Je pose cette question, car, jusqu’à la fin des années 1970, la présence des femmes dans cette forme d’art dans notre pays était mal perçue).
Il y a toujours un lien d’amour avec ma propre famille et je dirai même que c’est plus fort que l’amour. Sans eux, je n’aurais pas été dans le parcours actuel. Ma famille a été toujours derrière moi et accepté mon choix professionnel. Avec eux, je fais ce que j’ai à faire et par la suite, je les informe. Il y a un rapport de confiance entre nous. Mon père est toujours dans le soutien et l’appui. Je suis la seule dans ma famille qui s’est orientée vers le monde de l’art. Mon père est constamment compréhensif de mon travail et connait très bien les horaires des répétitions, souvent tard dans la nuit.
Quant à ma mère, elle fabrique les costumes de mes personnages. Par exemple, une fois lors d’un spectacle, j’avais besoin d’un costume de Viking. De ce fait, je suis rentrée à la maison et j’ai sollicité l’aide des membres de ma famille. Ces derniers m’ont fait un costume avec les matières dont ils disposent. Le résultat : c’est un costume pour le spectacle qui a été très adéquat au rôle. Pour l’instant, ma famille n’a jamais vu une représentation que j’ai faite, mais sait très bien ce que je fais. Aussi, même si je reçois une somme symbolique pour certaines représentations, mon père assure mes dépenses et se soucie constamment de mes études. Grâce à ce soutien, je suis entière sur scène et j’essaye d’être la plus investie sur les planches.
Est ce que tu poses une stratégie pour l’avenir en tant que comédienne ou bien tu vis au jour le jour ?
Pour répondre à la question, c’est que pour l’avenir je veux être connue et reconnue par mon travail et non pas être simplement célèbre sans plus, comme on le voit aujourd’hui à travers certains chroniqueurs à la télévision. Autrement dit, je ne cherche pas la célébrité du buzz. Dans l’avenir, je veux que les gens parlent de mon travail, de mes réalisations artistiques. En même temps, pour mon quotidien, je souhaite donner des cours. J’envisage également de poursuivre mes études universitaires en licence, master et doctorat en sciences culturelles.
Durant ce temps, je n’hésiterais pas à frayer mon chemin dans le monde artistique en tant qu’écrivaine, de danseuse et d’actrice. Car, je crois sincèrement que le comédien n’est pas quelqu’un qui incarne seulement des rôles sociaux et psychologiques, c’est surtout un être qui doit être capable d’imaginer la scénographie, de la dramaturgie et avoir des idées précise sur la mise en scène. En d’autres termes, ce n’est pas évident d’être acteur c’est-à-dire ce n’est pas une chose accessible à tout le monde. Dans cette perspective, je suis pour la théorie appuyant le fait qu’un comédien est un être-sacré.
Au final, quand un artiste sait où mettre ses pieds, comme on dit, il ne peut que retrouver la réussite me semble-t-il. Personnellement, je suis sur les pas de Wafa Taboubi, avec elle, je suis en discussion permanente. Et elle est source d'inspiration. Aussi, actuellement, je collabore avec Asma Abdi, directrice et productrice de l'entreprise Love-Art Prod, qui fait également des pas sûrs dans le monde du théâtre. Je travaille avec elle, en ce moment, dans une création pour enfants. Cette création s’appelle "El chart" (La condition).
Qu’en est-il de ta participation dans le monde du 7e art ?
Mes premiers pas dans le monde du cinéma étaient avec les étudiants de l’Ecole des Arts et du Cinéma (EDAC), c’est une école privée assurant une formation pratique dans le monde audiovisuel. Elle est située à, France-ville, c’est-à-dire à El Omrane. Particulièrement, avec Asma Jendoubi. Cette metteure en scène a été intéressée par les sujets que nous choisissons dans le théâtre. Notre façon de jouer, entre autres à l’espace Carmen, était à ses yeux très mature. Ce projet avec Asma Jendoubi était encadré par le fameux réalisateur Nouri Bouzid.
Après Asma Jendoubi, j’ai eu des projets de court-métrages, notamment avec des étudiants de l’Institut Supérieur des Arts Multimédia de La Manouba (ISAMM). Depuis, je commence à m’inscrire dans un réseau-amateur à travers du bouche-à-oreille quant à mon appréhension sérieuse des rôles qu’on m’a attribués. Parmi ces projets, je me rappelle principalement du court-métrage "Khoussa" (2022). Le monde du cinéma est donc un univers dans lequel je me projette aussi.
C'est très intéressant. Et j'apprécie beaucoup la maturité de cette jeune actrice ; elle ne cherche pas le clinquant. Elle pense sa trajectoire, elle ira loin. J'apprécie aussi beaucoup qu'elle cite les noms de celles et ceux qui l'ont aidée ou l'aident aujourd'hui. C'est tellement rare, la reconnaissance. P. M.